Gilles

Rencontre d'un homme à Bordeaux
Gilles

Rue Sainte-Catherine, Bordeaux. Un samedi après-midi. La street est blindée. Je ne me sens pas à l’aise et me cale contre un mur gris d’une belle bâtisse bordelaise, le genre de façade qui a traversé le temps. Mon appareil est prêt, mais il me  faut encore un moment. Je ne suis pas performant dans un nouvel écosystème turbulent. Un biais cognitif appelé l’effet de projecteur. J’observe scrupuleusement les autres sans motivation particulière pour voler des photos. Les promeneurs ne m’intéressent pas. Un manque de profondeur dans ma démarche m’envahit quand Gilles m’interpelle. Il ramasse les mégots. « Je ne fume plus, je suis passé du côté obscur », lui dis-je.  S’ensuit de longs échanges.  Étrange sensation de refaire le monde avec un type que personne ne considère.  À un mètre, une horde de gens bien portants, bien habillés, aux sourires parfaits.  Je parviens à me délivrer de toute commodité pour lui poser la question qui me trotte dans la tête : « Tu es dans la rue depuis longtemps ? ». Gilles est précis. Les dates, les événements, les politiciens de l’époque au pouvoir. Il me parle de son père, de ses journées, comment il voit le monde et l’arrivée de TRUMP au pouvoir. Je trouve ses connaissances remarquables. Ses habits lui vont bien. Des fringues bien coupées et bien portées avec une allure d’hipster qui ne se serait pas douché depuis des jours. On sent qu’il fait attention, mais que la 8’6 déborde parfois. On parle de ce crabe qui nous touche tous et me confie être étonné de ne pas en faire partie, que « Le cancer, c’est de la merde ». Il pleut, je lui demande si je peux prendre une photo de lui. Gilles ne me demande rien, il est en confiance mais me dit d’attendre. Il met la main dans sa veste pour en sortir une cannette de bière qu’il ouvre et me dit  » « Vas y shoot ». » Je déclenche rapidement et le remercie humblement en lui souhaitant bonne route. On se check. Je l’observe remonter la rue, un fantôme dans la foule. Ma photo a un manque de netteté, mais une profondeur. Dans la vie, on ne peut pas tout avoir. Les photos trop belles, je m’en méfie. Un peu comme les dents trop blanches. Santé, mon ami, bonne route.


Tu peux aussi le garder pour toi.
Ou l’envoyer à quelqu’un de bien.
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